L’église Saint-Paul de Grange-Canal: foi en Dieu et foi en l’art
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Vouloir déchiffrer le programme artistique, et plus particulièrement iconographique, de l’église Saint-Paul, c’est s’atteler à une tâche titanesque, et il faudrait bien plus que ces quelques lignes pour en faire un inventaire exhaustif. Je me bornerai donc ici à livrer au lecteur quelques considérations personnelles qui n’engagent que moi, mais qui auront pour but de susciter l’intérêt et l’envie de voir, de visiter, de ressentir et, pourquoi pas, de comprendre les éléments fondamentaux qui ont fait de Saint-Paul le premier édifice religieux du 20e siècle à avoir été classé monument historique par les autorités genevoises en 1988, précisément en reconnaissance de l’exceptionnelle richesse artistique exprimée dans ses murs.
Entrer dans la Saint-Paul artistique, c’est prendre acte du Credo d’un homme: l’abbé Francis Jacquet, curé-fondateur de la paroisse. Car cette église constitue véritablement la double profession de foi de ce prêtre trop tôt disparu: foi en Dieu, et foi en l’art, en tant que vecteur privilégié de la transmission de la foi chrétienne. Et je dis bien «chrétienne», car s’il s’agit d’un lieu de culte catholique-romain, il est remarquable qu’à l’époque de sa construction, au sortir du Kulturkampf, l’abbé Jacquet ait fait appel à des artistes réformés aussi bien qu’à des catholiques. Mais entrons à présent…
La monumentale toile absidiale
Auparavant, on se trouve sur le parvis. Devant soi, en haut des marches, la porte surmontée par un tympan inspiré de celui de la cathédrale de Chartres. On y reconnaît le Christ en gloire, entouré des quatre représentations constituant le Tétramorphe, symbolisant les quatre évangélistes. Eh bien, cette symbolique, disposée en deux dimensions sur la façade, se retrouve représentée façon quasiment identique par tout le bâtiment, en trois dimensions cette fois.
L’église St-Paul invite le visiteur à un voyage qui n’a qu’un but: le Christ!
Et l’on peut y ajouter une quatrième dimension, mystique celle-là. En effet, lorsqu’on pénètre à l’intérieur de l’église, le regard est instantanément capté par la toile absidiale monumentale, peinte par Maurice Denis. Tout en haut, le Christ en gloire, et l’apôtre Paul à ses pieds.
Mais alors, quid des évangélistes représentées sur le tympan? Ils sont bien présents, et ils servent même de pierres d’angle à l’enceinte sacrée que constitue le vaisseau central. Georges de Traz les a représentés aux quatre coins de la nef, dans les bas-côtés. Et en face de chacun d’eux, son attribut: l’aigle, le taureau, le lion et l’ange. Le plan est donc passé du vertical à l’horizontal. Plus que cela, la symbolique tout entière de l’édifice fait que, de spectateur devant le tympan, le croyant devient véritablement partie prenante de cette allégorie christique en se trouvant dans la nef: son regard est attiré par le Christ en haut de l’abside, comme par ailleurs le regard de tous les saints représentés sur les vitraux de l’église.
Un manifeste du renouveau de l’art sacré
Les quatre évangélistes, on les retrouve à chacun des angles de la nef, et les colonnes complètent l’enceinte, représentant chacune l’un des quatre grands prophètes du Premier Testament sur la droite (Isaïe, Jérémie, Ezéchiel et Daniel) et l’un des quatre Pères de l’Eglise latine à gauche (Augustin, Ambroise, Jérôme, Grégoire). De ce fait, le peuple rassemblé dans la nef se trouve entouré et comme protégé par un «enclos spirituel». Donc, chaque fois que le peuple de Dieu célèbre en ces lieux, c’est toute l’Église, celle du Ciel unie à celle de la terre, qui rend un culte à son Seigneur.
Le Curé-fondateur et les artistes ont fait de St-Paul un manifeste du renouveau dans l’art religieux au 20e siècle, notamment grâce au concours de Maurice Denis, chef de file et théoricien du groupe des Nabis, et à qui fut confié le patronage artistique de l’édifice. On a beaucoup écrit sur cette monumentale toile marouflée dans l’abside, c’est pourquoi je préfère dévier quelque-peu pour donner l’envie au lecteur de se plonger dans toute la symbolique qui a présidé au programme scénographique des vitraux.
Tout d’abord, il faut progresser dans l’église à la manière du pèlerin qui, au fur et à mesure qu’il avance, remonte le temps jusqu’au Christ. À gauche, les saintes, et à droite les saints. Et, partant du Christ, le premier est tout naturellement saint Jean, que Maurice Denis représente ici bénissant l’abbé Jacquet par imposition des mains avec au second plan l’église St-Paul. Et c’est précisément ce vitrail qui donne une clé de lecture du programme iconographique – sans toutefois prétendre qu’elle serait l’unique clé de lecture acceptable.
Vers le Christ
En effet, si l’on prend soin de voir quels saints et saintes sont représentés sur les vitraux de la galerie supérieure, on assiste à l’évocation de l’Église de Jean, de Polycarpe et Irénée. Les vitraux supérieurs sont un résumé hagiographique de l’Église qui s’est répandue de Lyon jusqu’en pays lémanique. Toutes les grandes figures de l’histoire de l’Eglise s’y trouvent réunies. Citons notamment Blandine, Marguerite et Loyse de Savoie, Jeanne de Chantal, Marguerite-Marie Alacoque, Irénée, Pothin, Avit, Bernard de Menthon, Amédée de Savoie, François de Sales et Jean-Marie Vianney. Ces deux derniers ayant par ailleurs les faveurs du curé fondateur, puisque représentés plusieurs fois: deux vitraux pour le saint évêque de Genève, deux vitraux et un bas-relief pour le curé d’Ars.
L’église St-Paul invite le visiteur à un voyage qui n’a qu’un but: le Christ! Ce but est accessible, tous les saints représentés l’ont démontré par leur vie et leur mort, qu’ils eussent été témoins ou acteurs de l’Eglise universelle, comme celles et ceux qui sont représentés sur la galerie inférieure (Marie et Joseph, les deux François, Cécile de Rome, Jeanne d’Arc), comme de l’Eglise des «fils de saint Jean» pour la galerie supérieure. Ces saintes et saints de chez nous et d’ailleurs ont vécu leur vie de témoins du Christ en se dressant sur de solides fondations: les prophètes, les Évangiles, les Actes des apôtres, les Pères de l’Église de Rome. Georges de Traz illustre ces fondations à la manière d’un bédéiste dans les bas-côtés.
Et pour qui éprouverait quelque ennui à ouïr certaine homélie, le choix est fourni de s’évader par le regard, en un pays familier, jamais très loin des paroles qui pourraient nous lasser. Pour ma part, nulle lassitude à admirer la beauté et la symbolique de ce lieu qui, décidément, nous rapproche, un peu, du Divin.
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Frédéric Monnin est maître de Chapelle à la paroisse Saint-Paul de Grange-Canal.
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